Photo du nord du site AZF le 21 septembre 2001 à 13h47. Au centre : le cratère et la trace noire.

AZF - PROCES EN APPEL

DÉPOSITION DE JEAN-MARIE ARNAUDIÈS

devant la Chambre d'appel correctionnel de la Cour d'Appel de Toulouse

INTRODUCTION

Monsieur le Président,
dans cette affaire, j'ai accompli un travail bénévole qui m'a occupé quasiment à temps plein six ans de ma vie.
Je n'ai été entraîné dans ce tourbillon que pour deux raisons : la cause de la vérité, et l'honneur de la Science. Il me faudrait une semaine entière d'exposés à six heures par jour pour seulement brosser à grands traits cet immense travail. Je n'ai présenté à la Justice que des résultats que j'étais sûr d'avoir démontrés. Je n'ai jamais cherché à échafauder de théorie de la catastrophe, car le jour où la vérité éclatera, elle fera voler en éclats toute théorie antérieure.
Dès Noël 2001, j'ai compris que le coup d'envoi de la catastrophe générale n'a pas été l'explosion du hangar 221, mais une première catastrophe fort complexe extérieure au périmètre AZF, avec des manifestations remarquables dans l'usine voisine SNPE. J'ai compris que les datations proposées par les experts officiels ne collent pas avec la réalité. Je ne sais pas s'il y a eu ou non d'effet domino. Tout ce que je dis, et c'est là le résumé de mon apport dans cette affaire, c'est qu'il s'est produit cette catastrophe préliminaire complexe hors d'AZF dans les vingts secondes précédant l'explosion du hangar 221. Comme c'était près d'AZF dans le temps et dans l'espace, il est donc indispensable d'étudier à fond cette catastrophe préliminaire pour explorer toutes les pistes possibles des causes de la catastrophe finale. Or nous allons le voir, de ce point de vue, l'enquête officielle doit être reprise et complétée.
Je vais vous montrer quelques témoignages caractéristiques radicalement incompatibles avec les conclusions officielles. Ces exemples ne sont pas isolés, des dizaines d'autres ayant même force conduisent à la même conclusion : invalidation du dogme de la thèse officielle selon lequel tout aurait commencé lors de l'explosion du hangar 221 d'AZF. On ne peut persister à le soutenir qu'en écartant ces témoignages ou en les ignorant. Je vous montrerai ensuite par des exemples comment l'enquête officielle a été privée d'informations précieuses. Ces exemples nous feront comprendre que si la grande masse de matière première d'informations contenue dans le dossier avait été exploitée, elle nous livrerait 99 pour 100 de la vérité. En effet, il suffit de creuser un peu les témoignages sérieux, puis de les croiser entre eux, pour obtenir une quantité d'informations d'une richesse inégalable, sans commune mesure avec la pauvreté des informations données par les divers appareils de mesure dont on s'est servi dans l'affaire.
Je terminerai en vous montrant comment, dans toute cette enquête, la science a été malmenée. Dans notre démocratie, c'est regrettable, car la population doit avoir confi- ance en ses scientifiques ; les scientifiques sont en effet ses enfants, l'activité scientifique dépassant et transcendant les classes sociales, comme toute ma carrière me l'a prouvé.

TEMOIGNAGE CORRENSON

Michel Correnson, employé chez Technal, environ 1700 m au sud-sud-ouest du cratère, avait devant lui, au nord, deux ateliers de l'usine. Il a d'abord vu un éclair au-dessus de ces ateliers. Pilote amateur, d'instinct il a compté les secondes, en rentrant la tête dans les épaules. Entre "quatre" et "cinq", il a entendu une première explosion forte lui semblant venir de derrière ces grands ateliers. Aucune destruction ni onde de choc associée. Juste après, un sifflement prolongé lui est parvenu, semblable au bruit d'un compresseur géant qu'on décompresse brusquement. Ce bruit a duré au moins deux secondes. Figé sur place, les yeux rivés dans la direction des bruits, il a ensuite vu monter, juste à droite de l'atelier le plus haut, une colonne de fumées orange piquées de noir, qu'il a dessinée. Cette colonne, dans son champ visuel, a atteint et même dépassé la hauteur de l'atelier le plus haut. En même temps que sa montée, il a entendu une seconde explosion énorme et senti sa poitrine méchamment compressée, puis il s'est senti fatigué, s'est assis une grande minute et s'est levé pour aller chercher son sac et les clés de son auto dans son bureau au nord de ces ateliers (Sur son bureau, deux poutrelles métalliques étaient tombées, s'il y était resté, il aurait été tué). Ce faisant, il a remarqué des destructions dans l'usine, ainsi, le lundi d'après, qu'une déformation des bardages auprès desquels il s'était assis. Je m'intéressais surtout à l'éclair, mais par acquit de conscience, j'ai demandé aux responsables d'AZF de faire venir le géomètre expert Rives St-Chamant sur place prendre une longue liste de mesures en présence de ce témoin, et à tout hasard, lui faire replacer sa position dans un plan d'ensemble où figureraient les usines AZF et SNPE.
Le résultat m'a stupéfié : la colonne de fumées orange ne pouvait absolument pas être celle de l'explosion du hangar 221 d'AZF. Moi qui avais cru que l'information principale de ce témoignage était l'éclair, je découvrais que c'était cette colonne de fumées oranges ! La ligne de vue de Correnson vers cette colonne, inscrite dans un angle de 2,87 degrés déterminé par le géomètre, ne s'approche jamais à moins de 600 mètres du cratère AZF, qu'elle laisse à l'ouest, donc sous le vent de ce matin-là !
Par recoupements avec d'autres témoignages incontestables, cette colonne ne pouvait s'être élevée que sur la SNPE dans une zone Z englobant les bâtiments 371, 375 et 370 de cette usine. Un calcul mathématique à la portée de tout le monde (Thalès !) montre qu'à la distance 1700 m du témoin, elle s'est élevée à une extraordinaire hauteur au-dessus du sol, au minimum 750 mètres. Cette distance 1700 m est celle du témoin à B221AZF et aussi à la zone Z de SNPE. Cette hauteur 750 m suffit à confirmer que cette colonne n'a rien à voir avec celle de B221AZF. Notons que pour le témoin, l'illusion est parfaite : il entend le gros bruit au moment même où la colonne s'élève devant lui, et au moment où elle a émergé, elle était déjà à mi-hauteur de son ascension verticale. Montrons maintenant qu'il est impossible de faire entrer ce témoignage dans le dogme des experts. Pour cela, un bon vieux raisonnement par l'absurde suffit : supposons donc que l'explosion du hangar 221AZF soit l'événement initial. Alors l'éclair lui est ou postérieur, ou simultané. Son image parvient à peu près instantanément au témoin (signal à la vitesse de la lumière). Donc quand Michel Correnson voit l'éclair, le bruit et l'onde de choc de l'explosion du hangar 221 sont déjà en route ; il leur faut au plus 5 secondes pour parvenir au témoin, distant de 1700 mètres. En fait c'est plutôt 4 secondes en raison des survitesses les 1000 premiers mètres. Or Michel Correnson a compté les secondes depuis qu'il a vu l'éclair : il a eu le temps de compter jusqu'à cinq. Battre mentalement la seconde en comptant est banalité pour ce pilote d'avions amateur chevronné. Donc le bruit et l'onde de choc de l'explosion du hangar 221 auraient déjà dû parvenir au témoin quand il a eu fini de compter. Il n'en est rien, puisqu'à la place de l'explosion 2, c'est l'explosion 1 que Michel Correnson entend après avoir fini de compter !
Cette contradiction démontre que l'éclair a précédé l'explosion du hangar 221. Le témoin place au minimum 3 secondes entre le bruit de la première explosion et l'onde de choc finale, donc l'éclair a précédé l'explosion du hangar 221 d'au minimum trois secondes (en fait, bien plus, mais cela est inutile pour notre raisonnement) Nous pouvons maintenant croiser le témoignage Correnson avec des informations extérieures à son témoignage. De nombreux témoignages nous apprennent qu'une explosion s'est produite sur la SNPE dans la zone Z , qui a créé une colonne arlequinée sur fond orange et noir en forme de massue s'élevant à plus de 700 m au-dessus du sol. Vu la ressemblance des descriptions visuelle et auditive, et surtout vu l'angle de 2,87 degrés dans lequel Michel Correnson voit la colonne, on voit qu'il ne peut s'agir que d'une seule et même colonne, du même événement. La distance moyenne de la zone Z au témoin est 1700 m (la même que la distance du témoin au hangar 221). Donc le bruit de cette explosion a mis entre 4 et 5 secondes à parvenir au témoin : exactement les mêmes secondes que Michel Correnson a comptées après l'éclair. Cela démontre que cette explosion s'est produite presque en même temps que l'éclair. Comme l'éclair est confortablement antérieur à l'explosion du hangar 221, on en déduit que cette première explosion lui est elle aussi antérieure, d'au moins trois secondes (et en fait, de bien plus). En conclusion, le témoignage Correnson non seulement invalide le dogme, mais en outre il est extrêmement riche d'informations capitales, or je suis le seul à l'avoir exploité ! il me semble anormal que dans l'enquête sur une telle catastrophe, j'aie été le seul à m'apercevoir de ce qu'il y a d'extraordinaire dans le témoignage Correnson, qui a donc vu à un moment discordant avec les thèses officielles une explosion hors norme dans un azimut qui pointe clairement vers la SNPE.

TEMOIGNAGE GRIMAL

Ce témoignage est d'une limpidité de cristal. Sa force est celle d'un document scienti fique. Il est absolument incompatible avec le dogme officiel. De plus, il apporte une information troublante sur les phénomènes précurseurs à l'explosion finale, avec ce sillage lumineux qui s'est dirigé d'est en ouest en direction d'AZF, et que la témoin a vu passer au-dessus de la SNPE. La témoin donne des informations intéressantes sur ce sillage : les bords n'en étaient pas nets, sa vitesse n'était pas du tout instantanée (même impression qu'un vol d'oiseau), et il n'était pas rectiligne mais présentait une légère concavité tournée vers le bas. De plus, la témoin précise qu'elle a vu le début et la fin de ce sillage, sans pouvoir dire si son début consistait en un projectile ou non. Depuis son bureau, Mme Grimal ne pouvait rien voir d'AZF. Elle était à environ 600 mètres du cratère AZF, donc une éventuelle onde sismique émanée du hangar 221 aurait mis exactement un quart de seconde à lui parvenir. La première explosion qu'elle a entendue s'est située, pour elle, au minimum huit secondes avant l'arrivée de l'onde de choc finale (huit secondes non subjectives mais estimées par soigneuse reconstitution). Elle l'a ressentie comme aérienne et venant d'assez loin, de quelque part vers la SNPE. Or si cette première explosion avait été une conséquence de l'explosion du 221AZF, son bruit serait parvenu à la témoin soit en même temps que l'onde de choc, soit quelques secondes après, pour peu que son foyer se soit situé à quelques centaines de mètres de la témoin (il fallait alors rajouter à la date de l'onde de choc la durée du trajet dans l'air du bruit de la première explosion). Tout cela est en grossière contradiction avec les faits, par conséquent les événements décrits par Mme Grimal sont antérieurs de plusieurs secondes à l'explosion du hangar 221 d'AZF.

LES COLONNES DE FUMEES

Les quelques témoignages que j'ai pu recueillir sur ce point m'ont pris énormément de temps, et mes moyens étaient dérisoires. On s'est privé d'informations essentielles en n'accomplissant pas ce travail à grande échelle.
Voici ce qu'il aurait fallu faire : d'abord recueillir le plus possible de témoignages de colonnes ou masses de fumées de toute sorte. Puis opérer une sélection, en ne retenant de ces témoins que ceux qui pouvaient donner avec précision (à deux ou trois mètres près) l'endroit où ils se trouvaient et, à l'aide de repères caractéristiques aisément identifiables dans leur champ visuel, le point précis de l'horizon où ils avaient vu s'élever ces fumées. Cela fait, il fallait de toute urgence, pour chacun des témoins sélectionnés, organiser une reconstitution sur place avec un géomètre expert agréé auprès des tribunaux chargé de reporter, sur un plan montrant les usines du pôle chimique, les azimuts exacts dans lesquels ces témoins avaient vu leurs colonnes de fumées.
On aurait alors découvert, j'en ai la preuve, que beaucoup de toulousains qui croient de bonne foi avoir vu des fumées de l'explosion d'AZF ont en fait vu les colonnes de fumées associées à des événements catastrophiques survenus dans le périmètre SNPE. Avec suffisamment de témoins, on aurait pu croiser ces azimuts pour cerner de façon très serrée le ou les points précis où s'étaient élevées ces fumées.
Je peux donner les exemples suivants : Monsieur Massou et son épouse, parties civiles, ont vu de très hautes et impressionnantes colonnes de fumées. Un examen soigneux des plans cadastraux prouve qu'il ne s'agit nullement de fumées de l'explosion d'AZF, car en fait, il y a de très fortes présomptions que Monsieur ait vu la colonne Correnson et que Madame ait vu la colonne Rizzato, dont je parlerai plus loin. De même, Mme Baux, partie civile, a vu une impressionnante colonne de fumées qui ne peut absolument pas être celle associée à l'explosion d'AZF. Dans les importants témoignages recueillis à SANOFI, il est clair que les fumées vues par certains ne sont pas celles du 221AZF mais celles de l'une ou l'autre des explosions survenues sur le territoire de SNPE. Monsieur Borderies a vu une sorte d'explosion à la SNPE plusieurs secondes avant l'explosion du hangar 221 d'AZF. J'avais trouvé par moi-même bien d'autres cas, un des plus remarquables est celui du témoin Roux-Levrat, qui a vu et dessiné la colonne Rizzato. Mais rien ne peut remplacer le travail qui n'a pas été fait sur le moment, et qui nous aurait à coup sûr donné un grand nombre de témoignages des colonnes de fumées au-dessus de SNPE antérieures à l'explosion d'AZF. En reprenant aujourd'hui l'enquête, dix ans ayant passé, on pourrait peut-être rattraper le coup pour certains cas (ainsi, par exemple pour Mme Baux et M. et Mme Massou). Mais le paysage urbain ayant beaucoup changé dans la zone du pôle chimique, il est sûr que nombre d'informations sont perdues à jamais.

LA COLONNE RIZZATO-NADAL

Pour mémoire. Ces deux témoins ne se connaissaient pas, étaient à plus de 2000 m l'un de l'autre et dessinent la même chose. Tout est antérieur à l'explosion d'AZF. On ne sait toujours pas, aujourd'hui, la nature exacte de cette extraordinaire colonne (à l'évidence gazeuse).
C'est antérieur, parce que ni Rizzato ni Nadal ne voient la grande explosion d'AZF, dont ils recevront pourtant l'onde de choc après avoir vu cette colonne. Or l'un comme l'autre avaient les yeux sur la scène : la grande cheminée SNPE vue et dessinée par Nadal montre que la ligne de vue de ce dernier passe au maximum à 50 m à la verticale du sol du nord d'AZF ; de plus cette ligne de vue passe nettement au nord du 221AZF, donc la colonne ne peut pas être celle de l'explosion d'AZF. En croisant avec Rizzato, on confirme que cette colonne, quand Nadal la voit, est antérieure à toute destruction dans AZF. Les lignes de vue Rizzato et Nadal se croisent au voisinage nord de la grande cheminée SNPE. Donc cette colonne s'est élevée non loin de cette cheminée et possiblement autour d'elle, ce qui rejoint les soupçons d'une explosion interne à cette cheminée antérieure à celle d'AZF. Comment peut-on se priver d'informations aussi sûres et aussi capitales ?

LAURENCE BOFFO

Les experts critiquent les témoignages en raison, disent-ils, de leur imprécision. C'est une profonde erreur méthodologique : ils confondent précision et fiabilité ! Laurence Boffo est à 90 m du cratère. A cette distance, l'onde de choc de 221AZF arrive à peu près instantanément, il ne peut exister aucun décalage même minime entre onde sismique, onde de choc et bruit : au plus quatre centièmes de seconde pour que 'londe de choc parvienne du 221AZF à Laurence Boffo et M. Mauzac ! Or elle entend une première explosion, effrayante, clairement extérieure au bâtiment où M. Mauzac lui fait son exposé. Elle constate que M. Mauzac reste impassible devant ce bruit, sans doute pour bien lui montrer que dans une usine chimique, il faut savoir garder son sang-froid. Et M. Mauzac, comme si de rien n'était, lui dit même quelques mots par lesquels il reprend son exposé ! et c'est là que l'onde de choc terrible arrive, que tout vacille autour de Mme Boffo, qu'elle est sonnée et sans doute perd conscience jusqu'à ce qu'elle constate qu'un pan de béton lui a sauvé la vie en lui formant un abri contre la tempête. Elle ne peut pas préciser la durée entre la première explosion et l'arrivée de l'onde de choc finale : quelques secondes, c'est sûr ! au moins cinq d'après son récit reconstitué, peut-être sept ou huit, mais qu'importe ? quelques secondes, c'est très imprécis, mais cela suffit largement à invalider sans appel le dogme ! toute précision plus fine serait inutile, incongrue, malvenue, ridicule ! il s'est bien passé quelque chose avant l'explosion d'AZF !

LA COLONNE NOIRE DU B221AZF

En n'exploitant pas à fond les témoignages, on s'est peut-être privé d'une avancée majeure sur les vraies causes de l'explosion du 221AZF. Nous savons en effet que deux ou trois dixièmes de seconde avant l'explosion du hangar 221, une colonne noire comme de l'encre s'est développée à tout vitesse, verticalement, au-dessus du hangar 221, dans sa partie médiane et plutôt en faîtière.
Cette colonne a été vue par M. Borderies, par M. Finazzi, par M. Efferméant, par M. Fuentes et sans doute par d'autres témoins qu'on aurait repérés si on avait creusé comme il convient la question des fumées.
Je n'ai pas eu les moyens de travailler comme j'aurais voulu sur cette colonne noire. Il aurait fallu le concours de géomètres experts pour déterminer les azimuts précis en présence de chacun de ces témoins, et indépendamment. Avec un seul témoin comme Michel Correnson, c'était déjà un travail long et minutieux, et là nous avions au moins quatre témoins !
Or cette colonne noire recèle peut-être l'une des clés du mystère de l'explosion d'AZF. Du noir de suie, c'est donc qu'il s'agit d'une très forte combustion, et non d'un petit pétard de dynamite destinée à faire sauter le tas d'ammonitrate. Cette combustion a été géante, puisque dans le nuage d'AZF tel que maintes fois photographié entre une et cinq minutes après l'explosion, on voit sa traînée noirâtre sale dans le ciel, horizontale, pointer vers l'ouest. Le témoin Campaner, de l'hôpital Marchant, qui se trouvait à moins de 500 m du cratère, décrit ce nuage noir de façon saisissante, il en a été très frappé. Il expose que ce noir ne s'est pas mélangé tout de suite au reste du nuage d'AZF. On peut donc supposer que cette combustion est liée à la vraie cause de l'explosion du tas d'ammonitrate, qui, on le sait, a besoin d'énormément d'énergie pour se déclencher. Or en croisant les témoignages, on aurait sans doute réussi à déterminer à deux ou trois mètres près l'endroit de la toiture du hangar 221 où cette colonne noire s'est élevée. Ce que j'en sais me laisse soupçonner que cet endroit n'est pas à l'est du cratère, mais plutôt dans sa partie ouest, là où il est le plus profond. On sait que sur une ou deux dizaines de mètres carrés, cette partie du cratère est la seule qui atteint la couche dure sous la couche de graviers et sables de la Garonne qui constitue la première couche du terrain. Il paraît donc logique que l'explosion ait pu commencer là et non pas comme il a été affirmé à l'est du cratère, près du sas. D'autant plus que l'étrange trace noire au sol (29 m par 3 m par 0,5 à 1 m de profondeur), prolongée, aboutit là. Dix ans après, le travail sur cette colonne noire est-il encore possible ? je laisse à la Cour le soin de répondre.

LA SCIENCE MALMENEE

Dès novembre 2001, je me suis plongé dans l'étude des ondes sismiques, car j'étais perplexe devant la théorie, qui commençait à se répandre, attribuant le bruit de la première explosion à un effet dit sismo-acoustique de l'explosion de B221AZF. (Pour abréger, nous parlerons d'écho sismique au lieu de phénomène sismo-acoustique). J'ai demandé à M. Sylvander, de l'OMP, de s'expliquer. Il a mis trois semaines à me communiquer le rapport de l'OMP à la DRIRE.
Ce rapport a été diffusé à grande échelle, et ses conclusions ont été inlassablement reprises, pendant des années, par les médias et la presse écrite. Ces conclusions, en gros, étaient une justification du dogme d'une part, et d'autre part l'affirmation que l'explosion du hangar 221 avait produit un effet sismo-acoustique causant le bruit de la première explosion entendue par une grande partie des toulousains.
Ce rapport à la DRIRE a été cité parmi les références scientifiques d'un article scienti fique officiel publié par Mme Souriau en mars 2002 dans les vénérables Comptes-Rendus de l'Académie des Sciences (CRAS). Donc ce rapport avait, pour le public et les profanes, un statut de document scientifique à l'appui de la thèse officielle qui affirme que le bruit de la première explosion n'a été qu'une illusion acoustique liée à l'explosion du hangar 221. Ce rapport à la DRIRE est consacré pour 55 pour 100 à la réfutation de l'idée qu'il avait pu exister deux explosions distinctes. Les auteurs posent eux-mêmes les questions censées le plus inquiéter le grand public, et y répondent.
Or dans la réalité, ces 55 pour cent du rapport à la DRIRE ne satisfont aucunement aux critères de scientificité exigés pour des documents scientifiques officiels : 1) d'une part, cette longue partie est construite sur une hypothèse gratuite non explicit ée : l'hypothèse selon laquelle s'il y avait eu deux explosions, elles se seraient produites au même endroit, sous-entendu, le hangar 221AZF.
Le 6 février 2003, enfin confronté à Annie Souriau face au juge d'instruction Perriquet, je lui ai demandé pourquoi dans ce rapport, elle n'avait pas averti le lecteur que deux explosions de foyers distincts expliquaient tout aussi bien et même mieux la variabilité de la durée perçue entre les deux bangs en fonction de la position du témoin qui les entend. Annie Souriau a répondu, après avoir hésité : "parce que cette hypothèse ne me servait pas dans ce que je voulais démontrer". Or quand un scientifique cherche ce qu'il ne connaît pas encore, il ne doit ne doit jamais chercher à démontrer du préconçu !
2) d'autre part, le rapport à la DRIRE privilégie l'étude du cas d'une seule explosion ayant causé les deux bangs, en expliquant que la durée entre les deux bangs entendus par un témoin dépend seulement de la distance de ce témoin au hangar 221 pourvu que cette distance soit inférieure à 6000 mètres. Et les auteurs, pour préciser, exposent là un tableau qui donne, pour diverses distances au hangar entre 500 m et 6000 m, la durée approximative qui doit séparer les deux bangs pour chacun des témoins placés à ces distances-là. Ils notent que cette durée augmente avec la distance, et ils ajoutent que si les deux bangs avaient été dûs à deux explosions distinctes, cette durée serait au contraire invariable, toujours la même pour tous les témoins. Ils se gardent bien de signaler, à aucun moment, que ces considérations ne reposent que sur l'hypothèse non explicitée définie ci-dessus ; en effet, quand deux explosions se produisent à des endroits différents, la durée perçue entre les deux bangs varie suivant l'emplacement de celui qui les entend.
En dépit d'approximations soigneusement choisies par les auteurs, et qui masquaient tout l'artifice, le mathématicien Pierre Delezoide et moi-même avons percé, bien avant Noël 2001, le secret de la fabrication de ce tableau. Il reposait sur l'hypothèse arbitraire et simpliste d'une vitesse apparente (i.e. sur le sol) uniforme des ondes simiques sorties du hangar 221 jusqu'à une distance de 6000 m du cratère : la vitesse de 2400 m/s. Malgré de nombreuses recherches depuis dix ans, nous n'avons jamais pu trouver un seul article scientifique au monde, dans le passé ou dans le présent, qui développe une théorie analogue et publie à l'appui un tableau analogue. Ce tableau, donc, constituait une première mondiale. Il aurait donc logiquement dû donner lieu à un grand article scientifique dans une revue sismologique spécialisée respectable. Or non seulement la responsable principale de l'OMP n'a rien fait de tel, mais elle n'a même pas repris ce tableau dans son article aux CRAS, alors qu'elle y cite le rapport DRIRE en référence ! depuis dix ans, les experts scientifiques auraient pourtant eu tout le temps de soumettre un tel article à une prestigieuse revue de sismologie. Il est encore temps, que ne le font-ils ? je les mets au défi !
3) Dans le rapport à la DRIRE, les auteurs exposent qu'il conviendrait de mener des études de témoignages pour confirmer ou infirmer les résultats donnés par ce fameux tableau. Mais aussitôt après, ils écrivent : ''les premiers témoignages recueillis favorisent l'hypothèse de deux bangs dûs à une seule explosion". Rien de plus n'est indiqué sur ces "premiers témoignages recueillis".
Dès décembre 2001, j'ai pris au mot les auteurs de ce rapport en recherchant des témoins. J'en ai trouvé autant que je voulais qui avaient bien entendu les deux explosions (rappel : 70 pour 100 des 450 témoins qui ont répondu à l'appel de M& S de 2004 ont entendu les deux explosions). Je me suis vite aperçu que tous ces témoins contredisaient sans appel l'hypothèse privilégiée par les rédacteurs du rapport. Annie Souriau a reconnu qu'entre le 26 septembre 2001, date du rapport à la DRIRE, et le 3 décembre 2001, date où elle a soumis son projet d'article aux CRAS, elle n'avait étudié aucun témoignage nouveau autre que ces fameux "premiers témoignages recueillis". Quand je lui ai demandé de vouloir bien étudier ceux que j'avais trouvés et communiqués au juge d'instruction, elle a refusé sèchement. Pour obtenir un débat avec elle, à mon grand regret, je n'ai pu que demander une confrontation au juge Perriquet. Ma requête a été acceptée, et la confrontation s'est déroulée le 6 février 2003 de 9 h à 13 h. A la fin de cette confrontation, j'ai demandé à Annie Souriau des détails sur ces "premiers témoignages recueillis". Elle m'a répondu : ''le lendemain samedi 22 septembre, le matin, je me suis promenée dans les rues [de Toulouse] et j'ai interrogé des passants au hasard. D'après leurs réponses, j'ai eu l'impression qu'ils avaient entendu des ondes sismiques". Toutefois, sur question de ma part, elle n'a pu ni donner l'identité d'au moins un de ces témoins, ni relater en détail un seul de ces témoignages, ni dire en quoi ces témoignages confortaient ou non ses hypothèses sur quoi reposait son rapport à la DRIRE. Au procès en première instance en 2009, sur la même question, Annie Souriau a répondu avoir recueilli elle-même ces premiers témoignages non pas dans la rue le samedi 22 septembre 2001 matin, mais lors d'un pot entre collègues de l'OMP le lundi ou mardi suivant. Toutefois, comme le 6 février 2003, elle n'a donné ni identité de témoins ni relation détaillée ne serait-ce que d'un témoignage. Et cela, alors que dans le rapport à la DRIRE, il était explicitement recommandé de conduire une étude plus approfondie par témoignages ! Ce qui me choque, c'est d'avoir été tant attaqué, sur la question des témoignages, ce qui a légitimé de m'ignorer ; je suis choqué d'avoir dû défendre, dans des vidéos Internet, la valeur du témoignage comme matière première de la construction de preuves et reconstitution de la vérité, alors que les auteurs de ces critiques n'ont jamais exprimé ne serait-ce qu'une seule réserve au sujet des "premiers témoignages recueillis" évoqués dans le rapport à la DRIRE ! Plus choquant encore, les auteurs du rapport à la DRIRE, eux, ont bénéficié à grande échelle, avec toute la force des médias actuels, d'une écoute sociale a priori en tant que représentants officiels de l'autorité scientifique ; la presse et les autres médias relayaient avec tous leurs moyens le moindre de leurs avis. Ils bénéficiaient d'avance de l'écoute des magistrats. Ils justifiaient, du haut de cette autorité, tous les dénigrements et les silences dont certains accablaient mes apports à l'enquête.
Il est étrange que les experts se soient tant acharnés, depuis le début, à dénigrer les témoins qui ne leur convenaient pas sans jamais critiquer ces "premiers témoignages recueillis" dont nous n'avons pas encore eu l'honneur, dix ans après, de connaître un seul des auteurs, ni de savoir en quoi ils confortaient la thèse de l'explosion unique ! Cette attitude pose un redoutable problème éthique. Le témoignage est inscrit dans nos lois. Pour récuser un témoin, il faut des raisons sérieuses. La récusation sans raison, c'est l'arbitraire, l'acte de pouvoir à l'état pur. Alors je pose la question : le fait, pour un témoin, de rapporter des faits qui contredisent les affirmations d'experts officiels est-il une raison valable de récuser ce témoin ? autrement dit, les experts officiels sont-ils des témoins plus égaux que les autres ?
A mes yeux, Monsieur le Président, tous les témoins sont égaux en respectabilité. Cette affaire a été pour moi une grande leçon de vie. Quelle qu'en soit l'issue, je ne regrettarai jamais. Jamais je n'avais senti combien l'égalité des êtres humains en droit est le point d'ancrage d'une société civilisée. Toutes ces femmes et tous ces hommes qui ont accepté de témoigner m'ont impressionné par leur désir civique, simple et clair, d'aider la justice. Cela, indépendamment de leur rang social et de leur niveau d'instruction. Leur conscience professionnelle de témoin m'a ému au fond. Je pense par exemple à madame Cabrol, médecin de l'hôpital Marchant, qui trois semaines après m'avoir écrit son témoignage, m'a téléphoné tard, un soir, pour m'annoncer qu'elle avait enfin compris pourquoi elle avait pu voir ces lueurs d'éclair au moment de la première explosion : je savais que depuis sa pièce, elle n'avait pu voir d'éclair, mais j'avais quand même respecté son témoignage. Et ce soir-là, toute contente, elle m'a dit " vous savez, ça n'a pas arrêté de me tracasser, ce que vous m'avez dit, qu'il n'y avait pas eu d'éclair visible depuis ma pièce. J'ai cherché, cherché, jusqu'à ce que je m'aperçoive, un jour, d'une véranda non loin de la fenêtre de ma pièce, et j'ai compris qu'un gros éclair au nord d'AZF avait très bien pu se refléter dans cette véranda, je tenais à vous en faire part et je suis vraiment soulagée ! " Sur quelle base peut-on douter du témoignage de M. Nadal ? depuis sa position, il ne peut absolument rien voir du détail des divers bâtiments d'AZF : donc pour lui, voir sa monstrieuse colonne à droite ou à gauche de la grande cheminée SNPE n'a rigoureusementa aucune importance. Il ne peut absolument pas savoir qu'à droite, sa ligne de vue ne pase pas, loin s'en faut, par le hangar 221. D'ailleurs quand il vit cette catastrophe, il ne sait pas ce qu'est le hangar 221, il n'a aucun enjeu de l'affaire en tête ! La bonne attitude scientifique consiste à étudier avec soin tous les précieux témoignages restés inexploités depuis dix ans. Pourquoi suis-je le seul à m'être aperçu que M. Correnson a vu une explosion qui ne pouvait pas être celle d'AZF ? pourquoi suis-je le seul à avoir bien écouté M. Nadal, à avoir déterminé les directions de ce qu'il voyait et à avoir croisé son témoignage avec celui de M. Rizzato, prouvant ainsi que cette colonne vue par l'un et l'autre ne pouvait pas être celle d'AZF et avait été antérieure à l'explosion d'AZF ? Monsieur le Président, j'affirme que la Science a été malmenée. Personnellement, je n'aurai pas de paix tant qu'elle n'aura pas fait triompher la vérité. Cette vérité, si je ne sais peut-être pas ce qu'elle est, je suis certain de ce qu'elle n'est pas !

Jean-Marie ARNAUDIÈS, le 3 janvier 2012