AZF - PROCES EN APPEL
DÉPOSITION DE JEAN-MARIE ARNAUDIÈS
devant la Chambre d'appel correctionnel de la Cour d'Appel de Toulouse
INTRODUCTION
Monsieur le Président,
dans cette affaire, j'ai accompli un travail bénévole qui m'a occupé quasiment à temps
plein six ans de ma vie.
Je n'ai été entraîné dans ce tourbillon que pour deux raisons : la cause de la vérité, et
l'honneur de la Science. Il me faudrait une semaine entière d'exposés à six heures par jour
pour seulement brosser à grands traits cet immense travail. Je n'ai présenté à la Justice
que des résultats que j'étais sûr d'avoir démontrés. Je n'ai jamais cherché à échafauder de
théorie de la catastrophe, car le jour où la vérité éclatera, elle fera voler en éclats toute
théorie antérieure.
Dès Noël 2001, j'ai compris que le coup d'envoi de la catastrophe générale n'a pas
été l'explosion du hangar 221, mais une première catastrophe fort complexe extérieure
au périmètre AZF, avec des manifestations remarquables dans l'usine voisine SNPE. J'ai
compris que les datations proposées par les experts officiels ne collent pas avec la réalité.
Je ne sais pas s'il y a eu ou non d'effet domino. Tout ce que je dis, et c'est là le résumé
de mon apport dans cette affaire, c'est qu'il s'est produit cette catastrophe préliminaire
complexe hors d'AZF dans les vingts secondes précédant l'explosion du hangar 221. Comme
c'était près d'AZF dans le temps et dans l'espace, il est donc indispensable d'étudier à
fond cette catastrophe préliminaire pour explorer toutes les pistes possibles des causes de
la catastrophe finale. Or nous allons le voir, de ce point de vue, l'enquête officielle doit
être reprise et complétée.
Je vais vous montrer quelques témoignages caractéristiques radicalement incompatibles
avec les conclusions officielles. Ces exemples ne sont pas isolés, des dizaines d'autres ayant
même force conduisent à la même conclusion : invalidation du dogme de la thèse officielle
selon lequel tout aurait commencé lors de l'explosion du hangar 221 d'AZF. On ne peut
persister à le soutenir qu'en écartant ces témoignages ou en les ignorant.
Je vous montrerai ensuite par des exemples comment l'enquête officielle a été privée
d'informations précieuses. Ces exemples nous feront comprendre que si la grande masse
de matière première d'informations contenue dans le dossier avait été exploitée, elle nous
livrerait 99 pour 100 de la vérité. En effet, il suffit de creuser un peu les témoignages
sérieux, puis de les croiser entre eux, pour obtenir une quantité d'informations d'une
richesse inégalable, sans commune mesure avec la pauvreté des informations données par
les divers appareils de mesure dont on s'est servi dans l'affaire.
Je terminerai en vous montrant comment, dans toute cette enquête, la science a été
malmenée. Dans notre démocratie, c'est regrettable, car la population doit avoir confi-
ance en ses scientifiques ; les scientifiques sont en effet ses enfants, l'activité scientifique
dépassant et transcendant les classes sociales, comme toute ma carrière me l'a prouvé.
TEMOIGNAGE CORRENSON
Michel Correnson, employé chez Technal, environ 1700 m au sud-sud-ouest du cratère,
avait devant lui, au nord, deux ateliers de l'usine. Il a d'abord vu un éclair au-dessus de
ces ateliers. Pilote amateur, d'instinct il a compté les secondes, en rentrant la tête dans les
épaules. Entre "quatre" et "cinq", il a entendu une première explosion forte lui semblant
venir de derrière ces grands ateliers. Aucune destruction ni onde de choc associée. Juste
après, un sifflement prolongé lui est parvenu, semblable au bruit d'un compresseur géant
qu'on décompresse brusquement. Ce bruit a duré au moins deux secondes. Figé sur place,
les yeux rivés dans la direction des bruits, il a ensuite vu monter, juste à droite de l'atelier
le plus haut, une colonne de fumées orange piquées de noir, qu'il a dessinée. Cette colonne,
dans son champ visuel, a atteint et même dépassé la hauteur de l'atelier le plus haut. En
même temps que sa montée, il a entendu une seconde explosion énorme et senti sa poitrine
méchamment compressée, puis il s'est senti fatigué, s'est assis une grande minute et s'est
levé pour aller chercher son sac et les clés de son auto dans son bureau au nord de ces
ateliers (Sur son bureau, deux poutrelles métalliques étaient tombées, s'il y était resté,
il aurait été tué). Ce faisant, il a remarqué des destructions dans l'usine, ainsi, le lundi
d'après, qu'une déformation des bardages auprès desquels il s'était assis.
Je m'intéressais surtout à l'éclair, mais par acquit de conscience, j'ai demandé aux
responsables d'AZF de faire venir le géomètre expert Rives St-Chamant sur place prendre
une longue liste de mesures en présence de ce témoin, et à tout hasard, lui faire replacer
sa position dans un plan d'ensemble où figureraient les usines AZF et SNPE.
Le résultat m'a stupéfié : la colonne de fumées orange ne pouvait absolument pas être
celle de l'explosion du hangar 221 d'AZF. Moi qui avais cru que l'information principale
de ce témoignage était l'éclair, je découvrais que c'était cette colonne de fumées oranges !
La ligne de vue de Correnson vers cette colonne, inscrite dans un angle de 2,87 degrés
déterminé par le géomètre, ne s'approche jamais à moins de 600 mètres du cratère AZF,
qu'elle laisse à l'ouest, donc sous le vent de ce matin-là !
Par recoupements avec d'autres témoignages incontestables, cette colonne ne pouvait
s'être élevée que sur la SNPE dans une zone Z englobant les bâtiments 371, 375 et 370
de cette usine. Un calcul mathématique à la portée de tout le monde (Thalès !) montre
qu'à la distance 1700 m du témoin, elle s'est élevée à une extraordinaire hauteur au-dessus
du sol, au minimum 750 mètres. Cette distance 1700 m est celle du témoin à B221AZF et
aussi à la zone Z de SNPE. Cette hauteur 750 m suffit à confirmer que cette colonne n'a
rien à voir avec celle de B221AZF. Notons que pour le témoin, l'illusion est parfaite : il
entend le gros bruit au moment même où la colonne s'élève devant lui, et au moment où
elle a émergé, elle était déjà à mi-hauteur de son ascension verticale.
Montrons maintenant qu'il est impossible de faire entrer ce témoignage dans
le dogme des experts. Pour cela, un bon vieux raisonnement par l'absurde suffit :
supposons donc que l'explosion du hangar 221AZF soit l'événement initial. Alors l'éclair
lui est ou postérieur, ou simultané. Son image parvient à peu près instantanément au
témoin (signal à la vitesse de la lumière). Donc quand Michel Correnson voit l'éclair, le
bruit et l'onde de choc de l'explosion du hangar 221 sont déjà en route ; il leur faut au
plus 5 secondes pour parvenir au témoin, distant de 1700 mètres. En fait c'est plutôt
4 secondes en raison des survitesses les 1000 premiers mètres. Or Michel Correnson a
compté les secondes depuis qu'il a vu l'éclair : il a eu le temps de compter jusqu'à cinq.
Battre mentalement la seconde en comptant est banalité pour ce pilote d'avions amateur
chevronné. Donc le bruit et l'onde de choc de l'explosion du hangar 221 auraient déjà
dû parvenir au témoin quand il a eu fini de compter. Il n'en est rien, puisqu'à la
place de l'explosion 2, c'est l'explosion 1 que Michel Correnson entend après avoir fini de
compter !
Cette contradiction démontre que l'éclair a précédé l'explosion du hangar 221. Le
témoin place au minimum 3 secondes entre le bruit de la première explosion et l'onde de
choc finale, donc l'éclair a précédé l'explosion du hangar 221 d'au minimum trois secondes
(en fait, bien plus, mais cela est inutile pour notre raisonnement)
Nous pouvons maintenant croiser le témoignage Correnson avec des informations extérieures
à son témoignage. De nombreux témoignages nous apprennent qu'une explosion
s'est produite sur la SNPE dans la zone Z , qui a créé une colonne arlequinée sur fond
orange et noir en forme de massue s'élevant à plus de 700 m au-dessus du sol. Vu la
ressemblance des descriptions visuelle et auditive, et surtout vu l'angle de 2,87 degrés
dans lequel Michel Correnson voit la colonne, on voit qu'il ne peut s'agir que d'une seule
et même colonne, du même événement. La distance moyenne de la zone Z au témoin
est 1700 m (la même que la distance du témoin au hangar 221). Donc le bruit de cette
explosion a mis entre 4 et 5 secondes à parvenir au témoin : exactement les mêmes secondes
que Michel Correnson a comptées après l'éclair. Cela démontre que cette explosion
s'est produite presque en même temps que l'éclair. Comme l'éclair est confortablement
antérieur à l'explosion du hangar 221, on en déduit que cette première explosion lui est
elle aussi antérieure, d'au moins trois secondes (et en fait, de bien plus). En conclusion, le
témoignage Correnson non seulement invalide le dogme, mais en outre il est extrêmement
riche d'informations capitales, or je suis le seul à l'avoir exploité ! il me semble anormal
que dans l'enquête sur une telle catastrophe, j'aie été le seul à m'apercevoir de ce qu'il y
a d'extraordinaire dans le témoignage Correnson, qui a donc vu à un moment discordant
avec les thèses officielles une explosion hors norme dans un azimut qui pointe clairement
vers la SNPE.
TEMOIGNAGE GRIMAL
Ce témoignage est d'une limpidité de cristal. Sa force est celle d'un document scienti
fique. Il est absolument incompatible avec le dogme officiel.
De plus, il apporte une information troublante sur les phénomènes précurseurs à l'explosion
finale, avec ce sillage lumineux qui s'est dirigé d'est en ouest en direction d'AZF, et que
la témoin a vu passer au-dessus de la SNPE. La témoin donne des informations intéressantes
sur ce sillage : les bords n'en étaient pas nets, sa vitesse n'était pas du tout instantanée
(même impression qu'un vol d'oiseau), et il n'était pas rectiligne mais présentait une légère
concavité tournée vers le bas. De plus, la témoin précise qu'elle a vu le début et la fin de
ce sillage, sans pouvoir dire si son début consistait en un projectile ou non.
Depuis son bureau, Mme Grimal ne pouvait rien voir d'AZF. Elle était à environ 600
mètres du cratère AZF, donc une éventuelle onde sismique émanée du hangar 221 aurait
mis exactement un quart de seconde à lui parvenir. La première explosion qu'elle a entendue
s'est située, pour elle, au minimum huit secondes avant l'arrivée de l'onde de choc
finale (huit secondes non subjectives mais estimées par soigneuse reconstitution). Elle l'a
ressentie comme aérienne et venant d'assez loin, de quelque part vers la SNPE. Or si cette
première explosion avait été une conséquence de l'explosion du 221AZF, son bruit serait
parvenu à la témoin soit en même temps que l'onde de choc, soit quelques secondes après,
pour peu que son foyer se soit situé à quelques centaines de mètres de la témoin (il fallait
alors rajouter à la date de l'onde de choc la durée du trajet dans l'air du bruit de la
première explosion). Tout cela est en grossière contradiction avec les faits, par conséquent
les événements décrits par Mme Grimal sont antérieurs de plusieurs secondes à l'explosion
du hangar 221 d'AZF.
LES COLONNES DE FUMEES
Les quelques témoignages que j'ai pu recueillir sur ce point m'ont pris énormément
de temps, et mes moyens étaient dérisoires. On s'est privé d'informations essentielles en
n'accomplissant pas ce travail à grande échelle.
Voici ce qu'il aurait fallu faire : d'abord recueillir le plus possible de témoignages de
colonnes ou masses de fumées de toute sorte. Puis opérer une sélection, en ne retenant de
ces témoins que ceux qui pouvaient donner avec précision (à deux ou trois mètres près)
l'endroit où ils se trouvaient et, à l'aide de repères caractéristiques aisément identifiables
dans leur champ visuel, le point précis de l'horizon où ils avaient vu s'élever ces fumées.
Cela fait, il fallait de toute urgence, pour chacun des témoins sélectionnés, organiser une
reconstitution sur place avec un géomètre expert agréé auprès des tribunaux chargé de
reporter, sur un plan montrant les usines du pôle chimique, les azimuts exacts dans lesquels
ces témoins avaient vu leurs colonnes de fumées.
On aurait alors découvert, j'en ai la preuve, que beaucoup de toulousains qui croient
de bonne foi avoir vu des fumées de l'explosion d'AZF ont en fait vu les colonnes de
fumées associées à des événements catastrophiques survenus dans le périmètre SNPE. Avec
suffisamment de témoins, on aurait pu croiser ces azimuts pour cerner de façon très serrée
le ou les points précis où s'étaient élevées ces fumées.
Je peux donner les exemples suivants : Monsieur Massou et son épouse, parties civiles,
ont vu de très hautes et impressionnantes colonnes de fumées. Un examen soigneux des
plans cadastraux prouve qu'il ne s'agit nullement de fumées de l'explosion d'AZF, car en
fait, il y a de très fortes présomptions que Monsieur ait vu la colonne Correnson et que
Madame ait vu la colonne Rizzato, dont je parlerai plus loin. De même, Mme Baux, partie
civile, a vu une impressionnante colonne de fumées qui ne peut absolument pas être celle
associée à l'explosion d'AZF. Dans les importants témoignages recueillis à SANOFI, il est
clair que les fumées vues par certains ne sont pas celles du 221AZF mais celles de l'une ou
l'autre des explosions survenues sur le territoire de SNPE. Monsieur Borderies a vu une
sorte d'explosion à la SNPE plusieurs secondes avant l'explosion du hangar 221 d'AZF.
J'avais trouvé par moi-même bien d'autres cas, un des plus remarquables est celui du
témoin Roux-Levrat, qui a vu et dessiné la colonne Rizzato. Mais rien ne peut remplacer
le travail qui n'a pas été fait sur le moment, et qui nous aurait à coup sûr donné un
grand nombre de témoignages des colonnes de fumées au-dessus de SNPE antérieures à
l'explosion d'AZF. En reprenant aujourd'hui l'enquête, dix ans ayant passé, on pourrait
peut-être rattraper le coup pour certains cas (ainsi, par exemple pour Mme Baux et M.
et Mme Massou). Mais le paysage urbain ayant beaucoup changé dans la zone du pôle
chimique, il est sûr que nombre d'informations sont perdues à jamais.
LA COLONNE RIZZATO-NADAL
Pour mémoire. Ces deux témoins ne se connaissaient pas, étaient à plus de 2000 m l'un
de l'autre et dessinent la même chose. Tout est antérieur à l'explosion d'AZF. On ne sait
toujours pas, aujourd'hui, la nature exacte de cette extraordinaire colonne (à l'évidence
gazeuse).
C'est antérieur, parce que ni Rizzato ni Nadal ne voient la grande explosion d'AZF,
dont ils recevront pourtant l'onde de choc après avoir vu cette colonne. Or l'un comme
l'autre avaient les yeux sur la scène : la grande cheminée SNPE vue et dessinée par Nadal
montre que la ligne de vue de ce dernier passe au maximum à 50 m à la verticale du sol
du nord d'AZF ; de plus cette ligne de vue passe nettement au nord du 221AZF, donc la
colonne ne peut pas être celle de l'explosion d'AZF. En croisant avec Rizzato, on confirme
que cette colonne, quand Nadal la voit, est antérieure à toute destruction dans AZF. Les
lignes de vue Rizzato et Nadal se croisent au voisinage nord de la grande cheminée SNPE.
Donc cette colonne s'est élevée non loin de cette cheminée et possiblement autour d'elle, ce
qui rejoint les soupçons d'une explosion interne à cette cheminée antérieure à celle d'AZF.
Comment peut-on se priver d'informations aussi sûres et aussi capitales ?
LAURENCE BOFFO
Les experts critiquent les témoignages en raison, disent-ils, de leur imprécision. C'est
une profonde erreur méthodologique : ils confondent précision et fiabilité ! Laurence Boffo
est à 90 m du cratère. A cette distance, l'onde de choc de 221AZF arrive à peu près
instantanément, il ne peut exister aucun décalage même minime entre onde sismique, onde
de choc et bruit : au plus quatre centièmes de seconde pour que 'londe de choc parvienne du
221AZF à Laurence Boffo et M. Mauzac ! Or elle entend une première explosion, effrayante,
clairement extérieure au bâtiment où M. Mauzac lui fait son exposé. Elle constate que
M. Mauzac reste impassible devant ce bruit, sans doute pour bien lui montrer que dans
une usine chimique, il faut savoir garder son sang-froid. Et M. Mauzac, comme si de rien
n'était, lui dit même quelques mots par lesquels il reprend son exposé ! et c'est là que
l'onde de choc terrible arrive, que tout vacille autour de Mme Boffo, qu'elle est sonnée
et sans doute perd conscience jusqu'à ce qu'elle constate qu'un pan de béton lui a sauvé
la vie en lui formant un abri contre la tempête. Elle ne peut pas préciser la durée entre
la première explosion et l'arrivée de l'onde de choc finale : quelques secondes, c'est sûr
! au moins cinq d'après son récit reconstitué, peut-être sept ou huit, mais qu'importe ?
quelques secondes, c'est très imprécis, mais cela suffit largement à invalider sans appel le
dogme ! toute précision plus fine serait inutile, incongrue, malvenue, ridicule ! il s'est bien
passé quelque chose avant l'explosion d'AZF !
LA COLONNE NOIRE DU B221AZF
En n'exploitant pas à fond les témoignages, on s'est peut-être privé d'une avancée
majeure sur les vraies causes de l'explosion du 221AZF. Nous savons en effet que deux
ou trois dixièmes de seconde avant l'explosion du hangar 221, une colonne noire comme
de l'encre s'est développée à tout vitesse, verticalement, au-dessus du hangar 221, dans sa
partie médiane et plutôt en faîtière.
Dès novembre 2001, je me suis plongé dans l'étude des ondes sismiques, car j'étais
perplexe devant la théorie, qui commençait à se répandre, attribuant le bruit de la première
explosion à un effet dit sismo-acoustique de l'explosion de B221AZF. (Pour abréger,
nous parlerons d'écho sismique au lieu de phénomène sismo-acoustique). J'ai demandé
à M. Sylvander, de l'OMP, de s'expliquer. Il a mis trois semaines à me communiquer le
rapport de l'OMP à la DRIRE.
Cette colonne a été vue par M. Borderies, par M. Finazzi, par M. Efferméant, par M.
Fuentes et sans doute par d'autres témoins qu'on aurait repérés si on avait creusé comme
il convient la question des fumées.
Je n'ai pas eu les moyens de travailler comme j'aurais voulu sur cette colonne noire.
Il aurait fallu le concours de géomètres experts pour déterminer les azimuts précis en
présence de chacun de ces témoins, et indépendamment. Avec un seul témoin comme
Michel Correnson, c'était déjà un travail long et minutieux, et là nous avions au moins
quatre témoins !
Or cette colonne noire recèle peut-être l'une des clés du mystère de l'explosion d'AZF.
Du noir de suie, c'est donc qu'il s'agit d'une très forte combustion, et non d'un petit
pétard de dynamite destinée à faire sauter le tas d'ammonitrate. Cette combustion a été
géante, puisque dans le nuage d'AZF tel que maintes fois photographié entre une et cinq
minutes après l'explosion, on voit sa traînée noirâtre sale dans le ciel, horizontale, pointer
vers l'ouest. Le témoin Campaner, de l'hôpital Marchant, qui se trouvait à moins de 500
m du cratère, décrit ce nuage noir de façon saisissante, il en a été très frappé. Il expose
que ce noir ne s'est pas mélangé tout de suite au reste du nuage d'AZF.
LA SCIENCE MALMENEE
Ce rapport a été diffusé à grande échelle, et ses conclusions ont été inlassablement
reprises, pendant des années, par les médias et la presse écrite. Ces conclusions, en gros,
étaient une justification du dogme d'une part, et d'autre part l'affirmation que l'explosion
du hangar 221 avait produit un effet sismo-acoustique causant le bruit de la première
explosion entendue par une grande partie des toulousains.
Ce rapport à la DRIRE a été cité parmi les références scientifiques d'un article scienti
fique officiel publié par Mme Souriau en mars 2002 dans les vénérables Comptes-Rendus
de l'Académie des Sciences (CRAS). Donc ce rapport avait, pour le public et les profanes,
un statut de document scientifique à l'appui de la thèse officielle qui affirme que le bruit de
la première explosion n'a été qu'une illusion acoustique liée à l'explosion du hangar 221.
Ce rapport à la DRIRE est consacré pour 55 pour 100 à la réfutation de l'idée qu'il
avait pu exister deux explosions distinctes. Les auteurs posent eux-mêmes les questions
censées le plus inquiéter le grand public, et y répondent.
Or dans la réalité, ces 55 pour cent du rapport à la DRIRE ne satisfont aucunement
aux critères de scientificité exigés pour des documents scientifiques officiels :
1) d'une part, cette longue partie est construite sur une hypothèse gratuite non explicit
ée : l'hypothèse selon laquelle s'il y avait eu deux explosions, elles se seraient produites
au même endroit, sous-entendu, le hangar 221AZF.
Le 6 février 2003, enfin confronté à Annie Souriau face au juge d'instruction Perriquet,
je lui ai demandé pourquoi dans ce rapport, elle n'avait pas averti le lecteur que deux
explosions de foyers distincts expliquaient tout aussi bien et même mieux la variabilité de
la durée perçue entre les deux bangs en fonction de la position du témoin qui les entend.
Annie Souriau a répondu, après avoir hésité : "parce que cette hypothèse ne me servait pas
dans ce que je voulais démontrer". Or quand un scientifique cherche ce qu'il ne connaît
pas encore, il ne doit ne doit jamais chercher à démontrer du préconçu !
2) d'autre part, le rapport à la DRIRE privilégie l'étude du cas d'une seule explosion
ayant causé les deux bangs, en expliquant que la durée entre les deux bangs entendus par
un témoin dépend seulement de la distance de ce témoin au hangar 221 pourvu que cette
distance soit inférieure à 6000 mètres. Et les auteurs, pour préciser, exposent là un tableau
qui donne, pour diverses distances au hangar entre 500 m et 6000 m, la durée approximative
qui doit séparer les deux bangs pour chacun des témoins placés à ces distances-là. Ils notent
que cette durée augmente avec la distance, et ils ajoutent que si les deux bangs avaient
été dûs à deux explosions distinctes, cette durée serait au contraire invariable, toujours la
même pour tous les témoins. Ils se gardent bien de signaler, à aucun moment, que ces
considérations ne reposent que sur l'hypothèse non explicitée définie ci-dessus ; en effet,
quand deux explosions se produisent à des endroits différents, la durée perçue entre les
deux bangs varie suivant l'emplacement de celui qui les entend.
En dépit d'approximations soigneusement choisies par les auteurs, et qui masquaient
tout l'artifice, le mathématicien Pierre Delezoide et moi-même avons percé, bien avant
Noël 2001, le secret de la fabrication de ce tableau. Il reposait sur l'hypothèse arbitraire
et simpliste d'une vitesse apparente (i.e. sur le sol) uniforme des ondes simiques sorties du
hangar 221 jusqu'à une distance de 6000 m du cratère : la vitesse de 2400 m/s.
Malgré de nombreuses recherches depuis dix ans, nous n'avons jamais pu trouver un
seul article scientifique au monde, dans le passé ou dans le présent, qui développe une
théorie analogue et publie à l'appui un tableau analogue. Ce tableau, donc, constituait
une première mondiale. Il aurait donc logiquement dû donner lieu à un grand article
scientifique dans une revue sismologique spécialisée respectable. Or non seulement la
responsable principale de l'OMP n'a rien fait de tel, mais elle n'a même pas repris ce
tableau dans son article aux CRAS, alors qu'elle y cite le rapport DRIRE en référence !
depuis dix ans, les experts scientifiques auraient pourtant eu tout le temps de soumettre
un tel article à une prestigieuse revue de sismologie. Il est encore temps, que ne le font-ils
? je les mets au défi !
3) Dans le rapport à la DRIRE, les auteurs exposent qu'il conviendrait de mener des
études de témoignages pour confirmer ou infirmer les résultats donnés par ce fameux
tableau. Mais aussitôt après, ils écrivent : ''les premiers témoignages recueillis favorisent
l'hypothèse de deux bangs dûs à une seule explosion". Rien de plus n'est indiqué sur ces
"premiers témoignages recueillis".
Dès décembre 2001, j'ai pris au mot les auteurs de ce rapport en recherchant des
témoins. J'en ai trouvé autant que je voulais qui avaient bien entendu les deux explosions
(rappel : 70 pour 100 des 450 témoins qui ont répondu à l'appel de M& S de 2004 ont
entendu les deux explosions). Je me suis vite aperçu que tous ces témoins contredisaient
sans appel l'hypothèse privilégiée par les rédacteurs du rapport.
Annie Souriau a reconnu qu'entre le 26 septembre 2001, date du rapport à la DRIRE,
et le 3 décembre 2001, date où elle a soumis son projet d'article aux CRAS, elle n'avait
étudié aucun témoignage nouveau autre que ces fameux "premiers témoignages recueillis".
Quand je lui ai demandé de vouloir bien étudier ceux que j'avais trouvés et communiqués
au juge d'instruction, elle a refusé sèchement. Pour obtenir un débat avec elle, à mon
grand regret, je n'ai pu que demander une confrontation au juge Perriquet. Ma requête a
été acceptée, et la confrontation s'est déroulée le 6 février 2003 de 9 h à 13 h.
A la fin de cette confrontation, j'ai demandé à Annie Souriau des détails sur ces "premiers
témoignages recueillis". Elle m'a répondu : ''le lendemain samedi 22 septembre,
le matin, je me suis promenée dans les rues [de Toulouse] et j'ai interrogé des passants
au hasard. D'après leurs réponses, j'ai eu l'impression qu'ils avaient entendu des ondes
sismiques". Toutefois, sur question de ma part, elle n'a pu ni donner l'identité d'au moins
un de ces témoins, ni relater en détail un seul de ces témoignages, ni dire en quoi ces
témoignages confortaient ou non ses hypothèses sur quoi reposait son rapport à la DRIRE.
Au procès en première instance en 2009, sur la même question, Annie Souriau a répondu
avoir recueilli elle-même ces premiers témoignages non pas dans la rue le samedi 22 septembre
2001 matin, mais lors d'un pot entre collègues de l'OMP le lundi ou mardi suivant.
Toutefois, comme le 6 février 2003, elle n'a donné ni identité de témoins ni relation détaillée
ne serait-ce que d'un témoignage. Et cela, alors que dans le rapport à la DRIRE, il était
explicitement recommandé de conduire une étude plus approfondie par témoignages !
Ce qui me choque, c'est d'avoir été tant attaqué, sur la question des témoignages, ce
qui a légitimé de m'ignorer ; je suis choqué d'avoir dû défendre, dans des vidéos Internet,
la valeur du témoignage comme matière première de la construction de preuves et reconstitution
de la vérité, alors que les auteurs de ces critiques n'ont jamais exprimé ne serait-ce
qu'une seule réserve au sujet des "premiers témoignages recueillis" évoqués dans le rapport
à la DRIRE ! Plus choquant encore, les auteurs du rapport à la DRIRE, eux, ont bénéficié
à grande échelle, avec toute la force des médias actuels, d'une écoute sociale a priori en
tant que représentants officiels de l'autorité scientifique ; la presse et les autres médias
relayaient avec tous leurs moyens le moindre de leurs avis. Ils bénéficiaient d'avance de
l'écoute des magistrats. Ils justifiaient, du haut de cette autorité, tous les dénigrements et
les silences dont certains accablaient mes apports à l'enquête.
Il est étrange que les experts se soient tant acharnés, depuis le début, à dénigrer les
témoins qui ne leur convenaient pas sans jamais critiquer ces "premiers témoignages recueillis"
dont nous n'avons pas encore eu l'honneur, dix ans après, de connaître un seul
des auteurs, ni de savoir en quoi ils confortaient la thèse de l'explosion unique !
Cette attitude pose un redoutable problème éthique. Le témoignage est inscrit dans
nos lois. Pour récuser un témoin, il faut des raisons sérieuses. La récusation sans raison,
c'est l'arbitraire, l'acte de pouvoir à l'état pur. Alors je pose la question : le fait, pour
un témoin, de rapporter des faits qui contredisent les affirmations d'experts officiels est-il
une raison valable de récuser ce témoin ? autrement dit, les experts officiels sont-ils des
témoins plus égaux que les autres ?
A mes yeux, Monsieur le Président, tous les témoins sont égaux en respectabilité. Cette
affaire a été pour moi une grande leçon de vie. Quelle qu'en soit l'issue, je ne regrettarai
jamais. Jamais je n'avais senti combien l'égalité des êtres humains en droit est le point
d'ancrage d'une société civilisée. Toutes ces femmes et tous ces hommes qui ont accepté
de témoigner m'ont impressionné par leur désir civique, simple et clair, d'aider la justice.
Cela, indépendamment de leur rang social et de leur niveau d'instruction. Leur conscience
professionnelle de témoin m'a ému au fond. Je pense par exemple à madame Cabrol,
médecin de l'hôpital Marchant, qui trois semaines après m'avoir écrit son témoignage, m'a
téléphoné tard, un soir, pour m'annoncer qu'elle avait enfin compris pourquoi elle avait
pu voir ces lueurs d'éclair au moment de la première explosion : je savais que depuis sa
pièce, elle n'avait pu voir d'éclair, mais j'avais quand même respecté son témoignage. Et
ce soir-là, toute contente, elle m'a dit " vous savez, ça n'a pas arrêté de me tracasser, ce
que vous m'avez dit, qu'il n'y avait pas eu d'éclair visible depuis ma pièce. J'ai cherché,
cherché, jusqu'à ce que je m'aperçoive, un jour, d'une véranda non loin de la fenêtre de
ma pièce, et j'ai compris qu'un gros éclair au nord d'AZF avait très bien pu se refléter
dans cette véranda, je tenais à vous en faire part et je suis vraiment soulagée ! "
Sur quelle base peut-on douter du témoignage de M. Nadal ? depuis sa position, il ne
peut absolument rien voir du détail des divers bâtiments d'AZF : donc pour lui, voir sa
monstrieuse colonne à droite ou à gauche de la grande cheminée SNPE n'a rigoureusementa
aucune importance. Il ne peut absolument pas savoir qu'à droite, sa ligne de vue ne pase
pas, loin s'en faut, par le hangar 221. D'ailleurs quand il vit cette catastrophe, il ne sait
pas ce qu'est le hangar 221, il n'a aucun enjeu de l'affaire en tête !
La bonne attitude scientifique consiste à étudier avec soin tous les précieux témoignages
restés inexploités depuis dix ans. Pourquoi suis-je le seul à m'être aperçu que M. Correnson
a vu une explosion qui ne pouvait pas être celle d'AZF ? pourquoi suis-je le seul à avoir
bien écouté M. Nadal, à avoir déterminé les directions de ce qu'il voyait et à avoir croisé
son témoignage avec celui de M. Rizzato, prouvant ainsi que cette colonne vue par l'un et
l'autre ne pouvait pas être celle d'AZF et avait été antérieure à l'explosion d'AZF ?
Monsieur le Président, j'affirme que la Science a été malmenée. Personnellement, je
n'aurai pas de paix tant qu'elle n'aura pas fait triompher la vérité. Cette vérité, si je ne
sais peut-être pas ce qu'elle est, je suis certain de ce qu'elle n'est pas !
Jean-Marie ARNAUDIÈS,
le 3 janvier 2012